Chapitre 2 : Elle aimait la neige


Derrière moi le train quittait la gare dans un grand fracas.

Emmitouflé dans mon écharpe et mon manteau je scrutais le village à la recherche d'Amandine mais elle avait disparue. Pourquoi se cachait-elle de moi ?... Non, elle ne se cachait pas, c'était bête à moi de penser ça. Sûrement ne m'avait-elle pas vu, moi l'amour de sa vie, et était donc rentré de dépit chez elle. Oui, c'était sûrement ça et je pouvais le comprendre, c'était normal qu'elle ne m'avait pas remarqué alors que j'étais derrière une vitre, dans un train arrêté en gare.

 

Notre lune de miel avait été coupée cours, mais Amandine ne m'en voulait pas. Toujours présente dans le sac sur mon dos je pouvais la sentir à travers les couches de tissus. Pour tout vous dire j'avais hésité quelques secondes en voyant Amandine dehors, quelques secondes pendant lesquels je m'étais presque convaincu de rester à l'intérieur du train et de profiter de la lune de miel. Mais Amandine m'avait convaincu du contraire.

Il était de mon devoir de retrouver Amandine et je comptais bien le faire.

Ma montre affichait neuf heures du matin et il me restait suffisamment d'argent pour prendre le train le lendemain et pour m'arrêter dans un hôtel le soir même, j'avais donc toute la journée pour fouiller cette ville de fond en comble pour retrouver Amandine et l’amener à Lyon avec moi. Toute la journée... Même si ça paraissait plutôt long dit comme ça j'étais convaincu au plus profond de moi que la tâche n'allait pas être aussi aisée que je l'aurais aimé.

Je remis mon bonnet en place, resserra doucement mon écharpe et remonta la bretelle gauche du sac que je portais sur le dos pour le placer dans une position plus confortable avant de pousser un léger soupir qui forma de la vapeur entre mes lèvres. La journée s'annonçait longue. Très longue.

 

La chambre d'hôtel n'était pas très luxueuse : un lit double à la couette jaune délavée, une tapisserie orange tombant en lambeaux à quelques endroits, une tâche d'humidité dans un coin de la pièce sur la moquette brune. Je n'avais pas imaginé ce genre d'endroit pour notre lune de miel mais si je voulais pouvoir continuer notre route le lendemain je n'avais pas trop eu le choix et avais du prendre l'hôtel le moins cher de la ville.

J'étais installé sur le bord du lit et regardais par la fenêtre. Il faisait sombre, très sombre. La nuit était déjà tombé depuis des heures à présent, et les nuages ne s'étaient toujours pas dissipés offrant un spectacle d'une nuit sans étoile.

 

La neige tombait et s'écrasait contre la fenêtre doucement.

 

Me laissant tomber en arrière sur le lit je me retrouva sur le dos juste devant Amandine, coincée entre deux coussins, qui regardait devant elle avec un sourire calme. Amandine aimait la neige, peut-être était ce pour ça qu'elle souriait d'un air aussi paisible ? Ou peut-être parce que j'étais là, devant elle, et qu'elle ne pouvait contenir autant d'amour ?

"Je t'aime", murmurais-je doucement

Elle ne me répondit pas, se contentant de sourire.

Ça me suffisait. Ma main gauche agrippa doucement quelques mèches de ses cheveux blonds et commença à jouer avec en les entortillant autour des doigts doucement. Je réfléchissais à ce soir, à demain et à la journée que nous venions de passer.

Je n'avais pas pu trouver Amandine dans ce village. Toute une journée de perdue. Je ne regrettais pas d'avoir quitté le train ce matin là, même si au final je n'avais pas pu la retrouver j'avais tout de même fait de mon mieux et c'était l'important, mais je n'arrivais pas à m'empêcher de me sentir épuisé et démoralisé par le résultat de nos recherches.

Amandine avait baissé son regard et plongeait son regard dans le mien. Elle n'avait pas besoin de parler ce regard voulait tout dire et elle avait totalement raison : j'avais abandonné trop vite mes recherches. Le train que nous allions prendre ne partirait que dans huit heures, il y avait encore un peu de temps pour retrouver Amandine dans ce dédale de maisons. Et même si il faisait nuit noire je ne devais pas renoncer si vite !

 

D'un bond moins habile que je ne l'aurais aimé je me mis sur mes pieds et contempla l'extérieur sombre. Amandine semblait fatiguée même si elle ne le voulait pas le montrer et puis elle avait déjà été transporté dans un sac toute la journée, je ne voulais pas lui faire revivre ça aussi rapidement... Oui, le mieux était de la laisser dans la chambre pour le moment et de partir tout seul à la recherche de ma bien aimée qui se trouvait quelque part dehors.

Un bisou sur le front froid de ma femme et j'enfilais mon manteau, mon bonnet et mon écharpe. La température extérieure était encore descendue depuis le matin, il fallait mieux se couvrir, je ne voulais vraiment pas être malade pour notre lune de miel. Entre mes dents je me maudissais de ne pas avoir pensé à prendre des gants. J'espérais juste ne pas à avoir rester trop longtemps dehors par ce temps.

 

Alors que je m'approchais de la porte pour sortir, Amandine m'arrêta.

Elle se trouvait toujours entre les deux coussins du lit et me regardait. Avais-je oublié quelque chose ? Elle lança un regard vers le sac à dos. Quelque chose dans le sac à dos ? Franchissant le mètre me séparant de la chaise sur lequel il était posé je posa mon regard à l'intérieur : un kit de couture et un couteau.

Le couteau ! Comment avais-je pu oublier de prendre le couteau ? Heureusement qu'Amandine était là pour se rappeler des choses à ma place vraiment, il s'en était fallu de peu pour que je sorte à la recherche de mon âme sœur sans mon couteau. Comment aurais-je pu faire pour la ramener à la chambre d'hôtel sans ?

Je fis glisser le couteau dans une poche intérieure à mon blouson et jeta de nouveau un coup d’œil à Amandine pour vérifier que je n'avais rien oublié. Elle regardait désormais dehors la neige tomber de plus en plus fort. J'en conclu que je n'avais rien oublié de plus et que j'étais maintenant fin prêt pour mon expédition de recherche.

 

Sortir de l'hôtel à une heure si tardive ne fut pas un défi, la plupart des clients dormaient à poings fermés et les couloirs étaient totalement déserts. Le réceptionniste semblait lui aussi avoir déserté son poste à une heure aussi tardive puisque le comptoir à l'entrée était désormais vide de toute présence humaine. Tant mieux.

Le véritable défi fut de pénétrer à l'extérieur. Dès le premier pas les flocons de neige vinrent s'abattre contre ma peau et le vent glacé commença à exercer sa morsure. Les flocons n'étaient pas assez nombreux pour appeler ça une tempête de neige mais ça commençait fortement à y ressembler. Les yeux mi-clos je n'arrivais à distinguer que la neige blanche qui s'était déposée sur la route et le trottoir, tranchant avec l’obscurité profonde de cette nuit d'hiver. Je resta là sur le palier de l'hôtel pendant de longues secondes. D'une parce que le froid me fouettant le visage ne m'invitait pas à faire un pas de plus, de deux car je profitais du moment. Les flocons de neige passant dans les rayons jaunâtres des lampadaires posés régulièrement le long de la chaussée, la neige encore immaculée qui m'entourait. Ces quelques secondes parurent durer une éternité. Seulement moi et la neige dans cet instant figé dans le temps. Puis Amandine me revint à l'esprit. Amandine seule qui m'attendait désespérément quelque part dans cette ville... Comment pouvais-je penser à rester là sous la neige et à me laisser recouvrir par elle pour l'éternité alors qu'elle se trouvait dans une situation si critique loin de moi ?

 

Un pas. Puis l'autre.

Ma marche était lancée, luttant contre le vent pour avancer, laissant dans la neige des traces de pas bien vite recouvertes par la neige. Je me guidais de lampadaire en lampadaire un peu au hasard. Parfois j’apercevais une fenêtre éclairée plus ou moins loin me rappelant que je me trouvais bien dans une ville. Combien de temps avais-je marché ? Je ne saurais pas réellement le dire. Peut-être était-ce des heures, peut-être n'était-ce que quelques minutes, au final ce n'était pas vraiment important dans cette histoire.

 

L'important était que j'avais trouvé Amandine.

 

Que faisait-elle là en train de tituber sur la place devant ce qui semblait être une petite église ? Je ne savais vraiment pas. Mais c'était elle. Amandine prit place sur un banc recouvert de neige posé devant l'Église et pencha la tête en arrière, la bouche ouverte dans l'espoir d'avaler quelques flocons de neige.

J'eus tout le temps de la contempler alors que j'essayais de la rejoindre rapidement, glissant par endroits sur des plaques de verglas qui commençaient à se former. Elle n'avait pas changée. Les même cheveux roux somptueux coulant des deux côtés de son petit visage fin, les même habits élégants qu'elle aimait porter pour se sentir belle même si elle n'en avait pas besoin pour être magnifique, les même lèvres rouges pulpeuses.

"Amandine", murmurais-je en m'arrêtant à quelques mètres d'elle.

Elle ne bougea pas, se contenant de rester penchée vers l'arrière la bouche ouverte. Un petit cliquetis. Elle venait de lâcher la bouteille d'alcool qu'elle tenait et cette dernière avait chuté lourdement sur le sol enneigé.

"Amandine", répétais-je un peu plus fort pour attirer son attention.

Elle releva la tête et me regarda intriguée. Qu'avais-je dit de si étrange ? Son regard émeraude me détailla ensuite longuement de haut en bas, le sourcil droit toujours levé.

"On se connait ?", finit-elle par demandé hésitante.

 

C'est bien ce que je craignais. Ils l'avaient eu.

Elle ne se souvenait pas de moi. Ils l'avaient eu.

Ils l'avaient eu. Ils l'avaient eu. Ils l'avaient eu.

Je n'avais pas d'autre choix.

 

Amandine eu a un moment de recul quand je lui planta le couteau dans l'abdomen.

"Je fais ça pour te sauver mon amour", lui dis-je doucement à l'oreille.

La tempête de neige redoubla d'intensité alors que son cri strident perça le silence de la nuit.

 

C'était merveilleux. Sentir la chair de ma bien aimée autour de la lame de mon couteau, c'était la sensation la plus charnelle que j'avais ressenti depuis des années. Une légère rotation de poignet et elle poussa un nouveau cri, moins fort cette fois-ci. Le couteau battait entre mes doigts au rythme du pouls d'Amandine et cette sensation était délicieuse.

D'un geste habile je retira le couteau du ventre de ma femme et fit quelques pas en arrière pour de nouveau admirer sa beauté. C'était magnifique. Elle en profita pour essayer de se relever. Avait-elle enfin repris ses esprits et décider de m'accompagner en lune de miel comme nous l'avions prévu depuis si longtemps ? Après avoir titubé quelques secondes Amandine s'écrasa face contre terre dans la neige.

Elle resta là, figée sur le sol, pendant quelques secondes avant d'essayer de ramper. Sa vaine fuite ne la mena pas loin, seulement quelques mètres plus loin. Visiblement elle n'était toujours pas décidée à m'accompagner à l'hôtel et essayait même de s'enfuir loin de moi, je devais vraiment faire quelque chose pour lui faire changer d'avis.

Mon bras s'abattit violemment sur Amandine qui essayait toujours désespérément de ramper. La lame du couteau pénétra rapidement dans la chair de son épaule avant de ripper maladroitement sur son os. Un autre cri de douleur. Un autre coup de couteau, plus précis cette fois, pénétra entre deux de ces cotes. Elle n'échappa pas de cri. Amandine semblait s'être calmée.

 

Retirant mon couteau je commença à me redresser. Debout je pouvais voir le formidable spectacle du sang qui coulait de ma bien aimée colorer la neige alentour d'une teinte vermeille. C'était vraiment ce qu'un homme pouvait rêver de mieux pour sa femme.

Mais ce n'était pas le temps d'admirer ce qui s'offrait devant moi. Je devais finir ce que j'étais en train de faire, rapidement, et ramener Amandine à la chambre d'hôtel. Attrapant l'épaule gauche de la jeune femme je la souleva doucement pour la mettre sur le dos. Si j'avais à lui rappeler notre amour pour qu'elle décide de m'accompagner, je préférais le faire en voyant son merveilleux visage. Son si blanc et si merveilleux visage... Son regard semblait éteint. Troublé aussi et inondé par les larmes. Elle me fixait d'un air triste mais paradoxalement très vide.

"Ne t'inquiète pas, tout va très vite rentrer dans l'ordre" murmurais je dans la nuit.

 

Le couteau se planta en plein cœur.